Me François Blais est le directeur du Centre de traduction et de documentation juridiques (CTDJ) à l’Université d’Ottawa depuis avril 1998. Me Blais est originaire d’Ottawa, mais a fait ses études primaires et secondaires en Outaouais. Il a par la suite obtenu un baccalauréat ès art puis une licence en droit à l’Université d’Ottawa, où il a également poursuivi des études en traduction et effectué une scolarité de maîtrise en droit public.
À partir de 1979, Me Blais a travaillé pour le Bureau de la traduction, exerçant des fonctions de rédaction, de traduction et de révision législatives et judiciaires ainsi que de contrôle et d’assurance de la qualité. En plus d’être membre du Barreau du Québec et de la Corporation professionnelle des traducteurs et interprètes du Nouveau-Brunswick, Me Blais est membre de l’Association canadienne des juristes-traducteurs et du Comité technique 37 de l’ISO. En outre, Me Blais enseigne la traduction juridique à l’École de traduction et d’interprétation de l’Université d’Ottawa où il exerce également les fonctions de coordonnateur du nouveau programme de maîtrise en traduction juridique.
Pour parler de l’importance de la terminologie dans le programme de maîtrise en traduction juridique, il faut d’abord faire l’historique du programme et en donner une description. Il convient donc de retourner en arrière de vingt ans en 1986. C’est à cette époque, que l’École de traduction et d’interprétation de l’Université d’Ottawa (ÉTI) a mis sur pied un programme de diplôme de 2e cycle en traduction juridique. Le programme a été créé pour répondre aux besoins énormes qui découlaient du bilinguisme d’ordre institutionnel dans les provinces et territoires du Canada. Il fallait préparer les étudiants à la traduction juridique professionnelle. Le programme s’adressait aux diplômés en droit et aux diplômés en traduction. Il s’agissait d’une collaboration avec la faculté de droit. Donc, cours de traduction et de terminologie à l’intention des diplômés en droit et cours de droit destinés aux diplômés en traduction et tous les étudiants suivent des cours de traduction juridique puis font un stage de huit semaines dans un service de traduction juridique. Il y avait bien sûr un examen d’admission. C’était le premier diplôme universitaire du genre au Canada. Il y a eu 31 diplômés de 1988 à 1996, dont un grand nombre travaillent encore en traduction juridique ou dans des domaines connexes. Le programme a été mis en veilleuse en 1995 et abandonné en 1998. On a décidé en 1998 d’y mettre fin en raison de la difficulté de l’ÉTI d’affecter les ressources humaines nécessaires et cela coûtait trop cher. Aucun cours de spécialisation n’était donné par des professeurs réguliers de l’ÉTI.
Ensuite, il y a eu un projet de programme conjoint droit et traduction, mais c’était difficile à élaborer parce qu’il fallait y associer common law en français qui 2 est un diplôme de 2e cycle alors que droit civil et traduction sont au 1er cycle. Un projet a été présenté en 2000, mais il a rapidement été écarté. Jusqu’à l’initiative de M. Jean Delisle directeur de l’ÉTI qui a élaboré un nouveau programme avec Me Claire-Hélène Lavigne qui venait d’être engagée comme professeur à l’ÉTI. Par suite d’une réunion tenue avec des représentants de la Cour suprême du Canada, du Bureau de la traduction et du ministère de la Justice du Canada, il a été convenu de mettre le programme en oeuvre. Ce devait être un début de réponse pour pallier la grave pénurie de spécialistes dans le domaine. C’est d’ailleurs le ministère de la Justice du Canada qui contribue au financement du programme.
Ce nouveau programme c’est donc la maîtrise en traduction juridique donné à l’ÉTI de l’Université d’Ottawa. Il s’agit d’un programme professionnel intensif de deuxième cycle. Elle est la seule du genre en Amérique du Nord et vise à former des traducteurs ou des réviseurs principalement pour le marché canadien, où cohabitent la common law et le droit civil. La création de ce programme a été rendue possible grâce, entre autre, à la contribution financière du ministère de la Justice du gouvernement du Canada. D’une durée de quatre sessions, la maîtrise en traduction juridique s’adresse à des juristes qui désirent se spécialiser en traduction de l’anglais vers le français et en révision juridique. Elle donne accès à des postes de traducteur, d’avocat-réviseur ou de juristetraducteur dans des services publics de traduction juridique, des grandes entreprises ou des cabinets d’avocats. Le corps professoral est composé de professeurs réguliers de l’ÉTI et de professeurs invités, spécialistes reconnus dans leurs domaines respectifs. Le programme est spécialement conçu pour des diplômés en droit qui n’ont pas nécessairement de formation en traduction ni d’expérience pratique de la traduction. Le programme a débuté officieusement en septembre 2006 et officiellement en janvier avec les cours de traduction juridique. Toutefois le programme a été rodé avec 3 étudiantes qui ont commencé à suivre des cours en janvier 2006. La première session est en quelque sorte une propédeutique. Elle est une introduction générale à la traduction, aux disciplines connexes et aux méthodes de travail et de recherche, alors que les trois autres sessions permettent à l’étudiant d’acquérir une bonne connaissance des principaux domaines de la traduction juridique et parajuridique et de développer son aptitude grâce à un stage supervisé en traduction, révision juridique ou terminologie juridique. Ce stage, qui a lieu à la troisième session, est d’une durée minimale de douze semaines. La première session est donc consacrée à l’acquisition de connaissances de base dans le domaine des professions langagières. Elle permet aux étudiants de se familiariser avec les grands principes de la traduction professionnelle, de la rédaction et de la terminologie. Ont été mis à l’horaire deux cours de traduction générale, un cours de traduction spécialisée dans un domaine autre que la traduction juridique, un cours de perfectionnement de l’expression écrite et, enfin, un cours d’initiation à la terminologie. Durant les deuxième et quatrième trimestres, l’étudiant aborde quelques grands secteurs de la traduction juridique. Entre ces deux sessions, l’étudiant effectue un stage supervisé de 12 semaines en traduction, révision juridique ou terminologie juridique. Au nombre des cours prévus au programme, figurent un cours sur le bijuridisme et le bilinguisme au Canada dans lequel sont comparées, dans l’optique de la traduction, les principales notions et les terminologies propres aux deux systèmes de droit canadien, ainsi qu’un cours sur la traduction et la révision juridique et parajuridique qui aborde la traduction, la retraduction et la révision de textes relevant des domaines juridique et parajuridique. Deux cours portent sur la traduction législative et réglementaire. L’étudiant y est initié à la traduction de textes législatifs et à la corédaction des lois et règlements. Deux autres cours sont consacrés à la traduction judiciaire (Cour fédérale et Cour suprême). Finalement, trois cours donnent à l’étudiant un avant-goût de la pratique de la traduction professionnelle dans les grands cabinets d’avocat. Ils portent respectivement sur les trois secteurs suivants : 1. valeurs mobilières (principaux documents et sources du droit dans ce domaine); 2. prospectus (renseignements, descriptions et informations financières contenus dans les prospectus); 3. fusions et acquisitions (principaux documents déposés dans le domaine des fusions et acquisitions).
Pour s’inscrire l’étudiant doit présenter une demande d’admission à la direction de l’École de traduction et d’interprétation qui les transmet au Comité des études supérieures. Cette demande doit, de préférence, être reçue entre le mois de janvier et la fin mars pour que le candidat puisse se présenter à l’examen d’admission qui permettra d’évaluer ses connaissances linguistiques et être informé de la décision du Comité dans un délai raisonnable.
Les cours du programme sont répartis sur quatre sessions. Les études sont donc principalement destinées aux étudiants à temps plein qui doivent satisfaire à une exigence de résidence de trois sessions. Il était possible de suivre le programme à temps partiel, auquel cas toutes les exigences du programme devraient être remplies en quatre ans.
Comme vous pouvez le constater, le programme de la MTJ ne comporte qu’un seul véritable cours de terminologie. De plus, il s’agit d’un cours d’initiation à la terminologie et à la terminographie. Ce cours vise à familiariser l’étudiant avec les principes de la recherche terminologique en lui présentant les notions théoriques et pratiques de base et en l’initiant aux méthodes actuelles de travail.
Ainsi, à la fin de ce cours de terminologie, l’étudiant devrait être capable :
▪ de définir et d’expliquer les notions fondamentales de la terminolgoie (terme, concept, langue de spécialité, etc.);
▪ de décrire les principales approches théoriques en terminologie;
▪ de résoudre un problème terminologique ponctuel dans un court délai;
▪ de rédiger une fiche terminologique bilingue complète;
▪ d’exposer les principales étapes d’une recherche terminologique thématique;
▪ d’interroger différentes banques de terminologie et de juger de la qualité des fiches consultées;
▪ de structurer une base de données terminologiques personnelle à l’aide d’un logiciel spécialisé;
▪ d’exposer les avantages de l’informatisation en terminologie.
C’est à dire tout ce qui est nécessaire pour susciter un intérêt à l’égard de la terminologie juridique.
L’autre cours qui s’intitule Terminologie trans-systémique et documentation – Bijuridisme et bilinguisme (titre ronflant et un peu vague!) A changé trois fois de contenu au cours de ses trois années d’existence. Il y a eu chaque année de nouveau professeurs qui l’ont adapté à leur façon de concevoir cette matière. La première année l’accent a été mis sur les différences entre les deux systèmes de droit au Canada et les étudiants pouvaient au moyen de textes choisis appliquer des notions de droit comparé dans la traduction. La terminologie comme telle n’y occupait pas une grande place. La deuxième année le cours de divisait en trois volets. Le premier volet portait sur le droit comparé ou plutôt sur les aspects théoriques de la philosophie du droit comparé, le deuxième volet visait la manière d’aborder la traduction de textes de common law en établissant les différences avec la façon de traduire des textes de droit civil. On mettait donc un peu l’accent sur les différences terminologique entre les deux systèmes. Le troisième volet portait exclusivement sur la recherche documentaire en bibliothèque, ce que les étudiants qui effectuaient un retour aux études appréciaient beaucoup. La troisième année (l’année dernière) les volets 1 et 3 ont été conservés, car le troisième professeur n’était pas disponible. Le volet terminologie a donc été passablement écarté. Il restait surtout l’aspects droit comparé et recherche documentaire. Cette année le cours est revu en profondeur et sera donné par la faculté de droit et sera offert autant en common law qu’en droit civil. On y fera très certainement une bonne place à la terminologie propre aux deux systèmes.
Ainsi, on serait porté à croire que la terminologie n’occupe pas une place très importante dans le cadre du programme de maîtrise en traduction juridique. Ce n’est pas entièrement faux, si l’on considère le nombre de cours qui portent particulièrement sur la terminologie. Toutefois, il n’est pas exact de dire qu’elle n’a pas d’importance dans l’enseignement de la traduction juridique, c’est précisément le contraire. Comme je l’ai mentionné précédemment il y a deux systèmes juridiques au Canada. En fait, c’est beaucoup plus compliqué que ça.
Comme vous le savez, la common law est issue de la « commune ley » importée en Angleterre lors de l’invasion de celle-ci par Guillaume le conquérant. En effet, ce dernier a instauré un nouveau système de justice dans lequel le souverain dit le droit. Les conflits entre seigneurs sont réglés par le roi, mais chose nouvelle, ses décisions sont consignées par écrit et elles constituent des précédents qui deviennent la loi du pays. Au Canada, la common law nous vient d’Angleterre par suite de la conquête britannique en 1763. Toutefois, la province de Québec a conservé son système de droit civil, héritage de la Nouvelle-France et fondé sur le Code Napoléon de 1804.
Il y a donc vraiment au Canada, quatre systèmes juridiques : je m’explique; la common law en anglais en vigueur dans 9 provinces et 3 territoires et le droit civil en français en vigueur au Québec. Mais aussi le droit civil en anglais au Québec et la common law en français dans le reste du pays. Au tout début, les termes juridiques de la common law provenaient du franco-normand de Guillaume le conquérant et au fil des siècles sont devenus des termes anglais. Si bien qu’au Canada, quand a débuté l’enseignement de la common law en français il y a près de trente ans, il n’existait pas de vocabulaire de la common law en français. Ainsi, le ministère de la justice fédéral a mis sur pied en 1981, le programme national de l’administration de la justice dans les deux langues officielles (le PAJLO) qui a consacré une partie importante de ses ressources à la normalisation de la terminologie française de common law. C’est également dans le cadre de ce programme qu’ont été créés les centres de jurilinguistiques, comme celui dont je suis le directeur, le Centre de traduction et de documentation juridiques à l’Université d’Ottawa (CTDJ), qui avait pour mission de traduire en français des ouvrages de base de la common law et qui se charge notamment maintenant d’aider à la rédaction d’ouvrages originaux.
Élaborer un vocabulaire français de la common law constitue en soi tout un défi, mais entreprendre de le normaliser partout au Canada, tient presque de l’utopie. Le consensus n’est jamais facile dans un pays bilingue et bijuridique, où en plus les compétences législatives sont partagées entre l’État fédéral et les provinces.
C’est donc ainsi que la terminologie prend toute son importance. Dans l’ensemble des cours du programme, tous les professeurs doivent appliquer avec discernement la terminologie normalisée de common law en français, celle du droit civil du Québec et celle du droit fédéral qui constitue un amalgame plutôt neutre des deux autres terminologies. Les professeurs doivent donc bien connaître cette entreprise de normalisation du vocabulaire français de common law.
De façon générale, la normalisation se fait à partir d’une analyse comparative des termes anglais dans la doctrine, la jurisprudence et dans la législation et pour les équivalents, à partir des usages existants au Canada français, du vocabulaire juridique en langue française, c’est-à-dire du droit français et du droit québécois, ainsi que des mécanismes de formation des termes juridiques français et des mots et expressions de la langue française courante.
Cette analyse se fait dans une perspective propre à la common law et non pas dans une perspective de droit comparé, d’où le respect de la classification et du réseau notionnel de ce système. Les notions du droit civil québécois ou du droit français sont examinées sur une base ponctuelle. Si le contenu notionnel est identique en common law et en droit civil, on privilégie l’adoption de termes français du système civiliste. Cependant, puisque les notions de la common law ont généralement été exprimées en anglais, il faut souvent recourir à la création pour respecter la complexité et les nuances de ce système de droit.
Le vocabulaire normalisé se fonde sur la légitimité juridique et sur la légitimité linguistique.
Les termes normalisés du vocabulaire français de la common law doivent être suffisamment souples et précis pour rendre sous la forme la plus concise possible les notions que véhiculent les termes anglais correspondants et doivent suivre l’évolution de ceux-ci.
Par exemple, si dans un cours il faut traduire le terme « fee simple », le professeur doit alors se reporter au vocabulaire normalisé et expliquer que même si de nos jours, ce terme correspond à la notion de « pleine propriété » en droit civil, il faut le traduire par le vieux terme français « fief simple » en raison du caractère particulier que revêt ce terme dans les transferts de biens réels. Il convient de souligner que ce terme avait un usage fortement ancré chez les juristes de common law de langue française.
Un autre exemple tiré du vocabulaire normalisé est le mot « batterie » choisi pour traduire battery. En droit des délits, il y a battery lorsqu’une personne « cause intentionnellement un contrat traumatique ou offensant à une autre personne ». Dans son sens vieilli, « batterie » signifiait en français : action de se battre, rixe, querelle. Le sens actuel du terme anglais battery ne comporte pas forcément un contact physique. Ce manque de contact est un élément distinctif de la notion. Les équivalents proposés jusqu’à maintenant, soit « acte(s) de violence », « agression », « attaque », « coups », « coups et blessures » et « voies de fait » ne sont pas appropriés. Ces termes sont trop restrictifs, trop généraux ou servent déjà à désigner d’autres notions.
Ce ne sont que deux exemples parmi tant d’autres qui démontrent bien de quelle façon l’enseignement de la terminologie juridique prend toute son importance dans le cadre des cours donnés dans la maîtrise en traduction juridique.
En outre, le programme de maîtrise en traduction juridique vise non pas à former des terminologues juridiques, car l’enseignement approfondi des notions essentielles à la formation de ceux-ci n’est pas donné, mais bien à susciter des vocations dans ce domaine. En effet, il y a bien sûr une pénurie de traducteurs juridique, mais il y a une bien plus grande pénurie de terminologues. La MTJ n’a pas entièrement atteint cet objectif. Sur un total de 20 diplômés ou futurs diplômés, seulement deux se sont montré intéressés, et une seule poursuivra vraisemblablement sa carrière dans ce domaine. Néanmoins, la formation de terminologues juridiques demeure au coeur des préoccupations de ceux qui sont chargés de transmettre ce que l’on pourrait qualifier de « bonne nouvelle » c’est à dire l’enseignement des cours dans le cadre de la maîtrise en traduction juridique.
En conclusion, il est clair que l’apprentissage d’une juste terminologie juridique est essentiel pour former des jurilinguistes compétents et c’est ce que nous nous somme engagés à faire dans le cadre du programme de la maîtrise en traduction juridique.